Vous avez l’impression ces jours derniers de vivre dans un film catastrophe ? Attendez de voir ce qui va suivre… Dans un impressionnant exercice de prospective, une équipe de chercheurs provenant des États-Unis, d’Allemagne, d’Autriche, de France et de Suisse, a modélisé… les conséquences d’une guerre nucléaire entre l’Inde et le Pakistan sur l’agriculture mondiale.

Dans son rapport 2017, la Global Challenges Foundation listait les risques de catastrophes à l’échelle mondiale (une activité comme une autre, me direz-vous…). Aux côtés du dérèglement climatique, d’un effondrement de la biodiversité, des pandémies (oups), de l’impact d’un astéroïde avec notre planète, de l’éruption d’un supervolcan, de la géo-ingénierie, de l’intelligence artificielle et d’autres risques inconnus à ce jour figuraient en bonne place les armes de destruction massive, au premier rang desquelles l’arme nucléaire. En effet, même si, comme le détaille Steven Pinker dans Le triomphe des Lumières, le stock d’ogives nucléaires des États-Unis est le plus faible depuis 1956 et que la Russie a réduit son arsenal de 85 % par rapport à l’apogée de l’époque soviétique, il reste aujourd’hui plus de 10 000 ogives dans le monde. Et une petite partie d’entre elles sont installées à proximité du Cachemire, région disputée par l’Inde et le Pakistan depuis des décennies. Selon une étude parue dans Science Advances en 2019, l’Inde et le Pakistan pourraient être dotés d’ici 2025 de 400 à 500 bombes nucléaires d’une puissance de 10 à plusieurs centaines de kilotonnes (pour mémoire, la bombe Little Boy qui est tombée le 6 août 1945 sur Hiroshima avait une puissance de 15 kilotonnes). Que se passerait-il si un conflit nucléaire s’ouvrait entre les deux belligérants ? Selon le scénario des chercheurs, 5 millions de tonnes de poussière seraient projetées dans l’atmosphère, provoquant un hiver nucléaire : un voile encerclerait autour de la Terre, réduisant le rayonnement solaire et provoquant un refroidissement global (baisse de la température moyenne de 1,8 °C et des précipitations de près de 8 %) pendant plusieurs années. Les chercheurs ont alors fait tourné leurs algorithme pour modéliser les répercussions en chaîne de cet hiver sur l’agriculture et le commerce mondial.

Un hiver nucléaire qui déclenche une catastrophe agricole

L’évolution du rapport stock-consommation (STU, stock-to-use, à gauche) et de la consommation intérieure (à droite).

Le modèle introduit un délai de 5 ans avant de retrouver une production agricole normale, avec le processus suivant : « dans un premier temps, les déficits de production sont compensés par un accès aux réserves stratégiques et un appel aux importations, puis dans un second temps par une réduction de la consommation intérieure et des exportations, propageant le choc aux partenaires commerciaux« .

Les simulations de production de blé, soja, maïs et riz indiquent une baisse de l’ordre de 10 % au niveau mondial, soit un choc deux fois plus important que la plus forte baisse observée depuis les année 1960 ! Pour le maïs, les États-Unis et le Canada (représentant aujourd’hui plus de 40 % de la production mondiale) verraient leur production fondre de 17,5 %, l’Europe (15 % de la production mondiale) de 16,7% et la Chine et l’Asie du Sud-Est (18 % de la production mondiale) de 6,3 % « seulement ». En effet, l’impact de l’hiver nucléaire ne se ferait pas sentir de la même façon sur tout le globe : alors que les précipitations pourraient augmenter en Amérique centrale et sur le pourtour méditerranéen, l’impact serait particulièrement fort dans les régions septentrionales, au nord du 30e parallèle, soit dans les régions regroupant les pays les plus développés et concentrant une grande partie du commerce mondial.

Aujourd’hui, les réserves stratégiques de céréales couvrent environ 20 % de la demande : en d’autres termes, en cas d’arrêt complet de la production, le monde peut subvenir à ses besoins en céréales pendant un peu moins de 2 mois et demi. Selon les modélisations des chercheurs, les réserves permettent de maintenir à peu près le même niveau de consommation pendant un an, au prix d’une diminution de moitié des réserves. Puis, quatre ans après le conflit nucléaire, la grande majorité des pays produisant du maïs ou du blé ont épuisé leurs réserves, qui tombent sous la barre des 1 %. Même des pays exportateurs doivent restreindre leur consommation (de 48 % pour le maïs au Canada ou de 33 % pour le blé en Pologne). La situation devient encore plus dramatique pour les pays importateurs : Haïti et le Bangladesh voient leur consommation de blé restreinte de 40 %, la Libye de 70 %, la Somalie de 92 %… Seuls les plus gros exportateurs comme les États-Unis, le Brésil et l’Argentine arrivent à tirer leur épingle du jeu en reportant une grande part de la production habituellement allouée aux exportations vers leur consommation intérieure. Ainsi, des restrictions en céréales supérieures à 10 % touchent 200 millions en année 1 pour aller jusqu’à 1 à 3,9 milliards en année 4 (de 9 à 101 pays sur la même période). Ce tableau apocalyptique pourrait n’être qu’une ébauche : en effet, l’étude n’a pas modélisé l’impact de ce choc sur les prix des céréales, l’inflation qui ne manquerait pas d’apparaître sur les marchés alimentaires provoquant les conséquences économiques et sociales délétères. Elle n’a pas non plus pris en compte les potentielles mesures protectionnistes que pourraient mettre en place les pays pour protéger leurs productions locales, qui pourraient accroître les tensions sur un marché mondial déjà fortement secoué. Bref, en cas d’holocauste nucléaire, plutôt que de stocker des rouleaux de papier toilette, construisez un silo à grains !

Source : J. Jägermeyr et al., A regional nuclear conflict would compromise global food security, PNAS, 16 mars 2020.

Crédit photo : Photo courtesy of National Nuclear Security Administration / Nevada Field Office.